
Comment suis-je ou ai-je été témoin d’une bonne nouvelle dans l’épreuve de la maladie
En janvier 2016, la mauvaise nouvelle d’une récidive de cancer du sein, m’anéantit d’autant plus que je n’envisageais plus cette éventualité, 13 ans après mon 1er cancer.
En plus, cela tombait très mal, c’était l’année du concours de notre fils, du BAC de notre fille et je travaillais à un projet de reconversion professionnelle.
J’ai pleuré de colère et de peur. Après avoir enchaîné quelques soucis de santé durant les années qui ont suivi mes 40 ans, je pensais que la cinquantaine arrivant, je pourrais en profiter pleinement. Quelle injustice cette récidive ! En mars, j’ai subi une mastectomie, avec commencement de la reconstruction mammaire, et un curage axillaire. S’ensuivront de la chimiothérapie et de la radiothérapie.
J’ai eu l’immense chance de ne jamais souffrir physiquement. Mais cela n’a pas empêché la douleur morale ou psychologique. Douleur de voir mon corps vieillir prématurément, douleur de voir le matin au lever et le soir en me démaquillant cette tête de cancéreuse. Peur de la chimio, de la perte de cheveux, peur que l’on me découvre d’autres tumeurs,….Peur de mourir.
La période après traitements a été aussi longue que douloureuse. J’ai dû faire le deuil de mon projet professionnel car je n’en étais plus capable physiquement et psychologiquement ; je bénéficie aujourd’hui de la RQTH. J’ai connu des mois d’angoisse où je ne savais pas ce que je pourrais faire, où j’avais le sentiment de ne plus valoir grand-chose professionnellement. Au cœur de cette détresse, Valérie, ma coach de la Ligue contre le cancer, Pascale la psychologue de Pôle Emploi, Valérie le médecin sophrologue de l’ICO m’ont remarquablement bien accompagnée.
S’est ajoutée à cette douleur morale une expérience très déstabilisante à laquelle je ne m’attendais absolument pas : j’ai traversé un désert spirituel dont je sors à peine et qui explique mon absence de cette communauté paroissiale qui m’a tant apportée. J’ai cessé de parler à Dieu le jour de l’Ascension 2016, jour où je me suis retrouvée avec une poignée de cheveux dans la main en faisant mon shampooing.
Toutefois, pour ne pas perdre complètement le contact avec Dieu, j’ai réintégré mon ancienne équipe ACI et j’ai accepté d’accompagner l’année dernière le parcours diocésain « Aux fondements de la vie spirituelle ».
Malgré ces moments difficiles, j’ose affirmer en toute sincérité que j’ai vécu une très belle expérience, que je ne souhaite cependant à personne, une magnifique expérience d’amour.
L’amour de mes proches, famille, amis, mais aussi de personnes auxquelles je ne m’attendais pas. A chaque moment de découragement, de désespoir, je recevais un signe qui me « reboostait ».
Je crois qu’inconsciemment je me suis autorisée à me détacher de Dieu parce que dès le départ, d’innombrables personnes m’ont portée dans leurs prières, y compris des personnes que je ne connaissais pas.
Une belle expérience car j’ai fait de magnifiques rencontres au cours de mes 16 séances de chimio. Je repense à cette femme de 72 ans dont c’était le 4ème et dernier cancer (la plèvre). Elle était lumineuse en me parlant de son mari, ses enfants et petits-enfants qui l’entouraient de tout leur amour. Pour eux, elle avait l’intention d’accepter tous les traitements tant que son corps supporterait. Je revois ce Grand-Père qui se faisait soigner d’un cancer du poumon, après avoir eu un cancer des intestins, parce que ses petits-enfants comptaient sur lui pour continuer à les emmener à la pêche. J’ai été émerveillée par la sérénité de cette femme à qui on avait annoncé il y a 5 ans qu’elle n’avait plus que 3 mois à vivre. Elle a partagé tous ses bijoux entre ses filles et ses petites filles. 5 ans après, elle venait tous les jours de Luçon pour une séance de chimio. Portée par l’amour de sa famille, elle continuait à vivre et dorloter son mari atteint d’un Parkinson. Je suis sortie de chacune de mes séances de chimio, heureuse, dynamisée par les personnes magnifiques avec lesquelles j’avais partagé, témoin que l’épreuve de la maladie peut être source de moments de bonheur intenses. Penser à elles aujourd’hui continue de me « booster » quand j’ai un coup de mou.
J’ai découvert que la perfusion de chimiothérapie, ce liquide incolore, inodore, qui rend si souvent malade (même si je l’ai plutôt bien supporté) pouvait être un sachet rempli d’amour. L’amour de ces chercheurs qui travaillent d’arrache-pied à combattre le cancer. L’amour du personnel du service pharmacie qui prépare les cocktails de chimio. L’amour du personnel soignant de Gauducheau qui branche délicatement la perfusion, qui est aux petits soins pour chacun de nous.
Cette dernière épreuve de la maladie m’a permis de vraiment travailler sur moi, de changer mon rapport aux autres, mon rapport au temps.
Je ne veux plus de ce rythme effréné que j’ai connu et pratiqué. J’ai besoin de prendre le temps de faire les choses, prendre le temps de me reposer. Tant pis si j’en fais 2 fois moins qu’auparavant. De toute façon, le jour où je mourrai, la terre continuera de tourner comme elle a continué de tourner pendant ces 2 années entre parenthèses.
J’ai appris à profiter pleinement de l’instant présent, à accueillir avec bienveillance l’imprévu de la journée.
J’ai appris à m’émerveiller de la chaleur d’un rayon de soleil sur ma joue, de la beauté du paysage même par temps de pluie. J’ai appris à profiter de tous ces petits bonheurs qui semblent dérisoires mais qui rendent l’existence plus douce.
Je n’ai plus l’énergie, ni de temps à perdre dans des relations hypocrites ou de convenances. J’ai besoin, plus que jamais, de relations sincères et authentiques. Les épreuves par lesquelles je suis passé m’ont rendue plus fragile. Je ne cache plus cette fragilité qui devient une force quand elle favorise la parole, des échanges vrais et profonds avec des personnes en souffrance. Des échanges que je ne me serais sans doute pas autorisés auparavant.
Je travaille également à faire ce qui me convient et non ce que l’on attend de moi.
Cette épreuve m’a fait prendre conscience de ma combativité et de l’énergie qui reste encore en moi.
Je suis cabossée certes, vieillie, mais vivante ! Je veux vivre, vivre pour continuer à aimer, à être aimé.
Vivre pour accompagner les plus fragiles, pour apporter un peu de baume au coeur de leurs souffrances, pour œuvrer modestement à une société plus fraternelle. Au plus profond de ma déprime et alors que je ne m’y attendais pas du tout, Mgr James m’a nommée co présidente, bénévole, de l’association L’Accueil d’Abord. J’ai également retrouvé une activité salariée à temps partiel, auprès des demandeurs d’asile isolés. Depuis septembre dernier, je suis employée par JRS France en qualité d’animatrice, détachée pour l’antenne JRS Welcome Nantes. Alors que je pensais définitivement tournée la page de mon histoire auprès des personnes migrantes, je suis retournée m’investir auprès ceux et celles qui m’ont tant apporté, qui m’ont révélé quelque part ce qui me faisait vivre, et dont beaucoup m’ont soutenue pendant la maladie. C’est d’ailleurs la perspective de repartir m’engager auprès de ces personnes qui m’a redonné l’énergie qui me manquait tant pour repartir dans la vie active.
Aller à la messe reste difficile pour moi aujourd’hui. Mais je continue à croire en ce Dieu tout puissant d’amour qui m’a soutenue à travers les innombrables belles personnes que j’ai rencontrées dans cette épreuve et celles qui m’ont accompagnées. Ce sont elles qui me permettent de témoigner aujourd’hui que l’épreuve de la maladie peut être source de bonne nouvelle.
Port-Navalo, le 1er février 2019